Les scientifiques y font état de 4,95 millions de morts associés à l’antibiorésistance en 2019.
En épluchant leur rapport d’analyse, j’ai été effaré de constater que cela représente 3 à 4 fois plus que les taux de mortalité attribués au paludisme et au sida réunis sur la même année !
Voilà les conséquences désastreuses de l’antibiothérapie, banalisée et pratiquée à outrance par le corps médical dans la plupart des pays occidentaux.
Et si la tendance semble s’être améliorée ces dernières années, il y a encore de gros efforts à fournir, notamment chez nous, la France restant l’un des plus gros pays consommateurs d’antibiotiques2.
Face à ce constat alarmant, le développement de nouvelles thérapies semble plus que jamais nécessaire.
C’est là qu’entre en jeu un concept en apparence aussi contradictoire que révolutionnaire, faisant appel à des virus pour détruire les bactéries résistantes.
Une découverte pas si neuve
Contre toute attente, les prémices de la phagothérapie remontent à la fin du XIXe siècle.
Tout commence en 1896, lorsque le microbiologiste britannique Ernest Hanbury Hankin part en Inde pour y étudier les épidémies de choléra.
C’est alors qu’il découvre que l’eau du Gange contient un agent antiseptique, capable de tuer les bactéries responsables de cette maladie.
Bien que Hankin n’ait pas réussi à isoler cet agent, il fut le premier à suggérer l’existence de « virus bactériens ».
Puis, au début du XXe siècle, c’est le chercheur français Félix d’Hérelle qui décrit et utilise avec succès les premiers « bactériophages », pour lutter contre des maladies aussi diverses que la dysenterie et la typhose aviaire.
Ainsi, naît la phagothérapie qui commence à être employée contre les infections bactériennes dans de nombreux pays d’Europe, avant de s’exporter aux États-Unis.
Cependant, la controverse qu’elle suscite au sein de la communauté scientifique ne cesse d’enfler.
Par la suite, la découverte de la pénicilline et l’avènement des premiers antibiotiques dans les années 1940, signent le déclin de la phagothérapie qui tombe alors aux oubliettes.
Jusqu’à ce que l’émergence récente de nombreuses bactéries résistantes ne devienne un enjeu de santé publique…
Des virus salvateurs
Ainsi, durant ces dernières années, la phagothérapie est réapparue sur le devant de la scène pour traiter les infections bactériennes résistantes.
Cette méthode de traitement fait appel à des bactériophages (ou phages), autrement dit des virus qui ciblent et infectent les bactéries, utilisant le matériel génétique de ces dernières pour se reproduire.
Ils vivent à l’état naturel dans quasiment tous les écosystèmes. On en trouve dans le sol, sur la peau et les muqueuses des animaux, dans les eaux douces et les océans, jusqu’au plus profond des abysses.
Leur particularité est d’être vraiment spécifiques à une espèce voire à une sous-espèce de bactérie.
Ils n’infectent aucun autre organisme vivant, ce qui en fait des alliés de choix dans le domaine de la santé lorsque l’on cherche à cibler spécifiquement une souche de bactérie chez des malades atteints d’infections graves.
Différentes voies d’administration sont possibles en fonction de la pathologie à traiter (cutanée, orale, etc.) mais la voie injectable serait la plus active3.
Ces dernières années, les phages ont prouvé leur efficacité pour venir à bout de bactéries aussi virulentes qu’Escherichia coli, Staphyloccocus aureus (le fameux staphylocoque doré), et même Pseudomonas aeruginosa4, une « super » bactérie nosocomiale capable d’infecter de nombreux organes.
Les phages sont particulièrement salvateurs en cas d’infection de prothèses articulaires5, toujours très difficiles à endiguer, ainsi que dans la lutte contre les affections respiratoires6.
Voilà pourquoi ils apparaissent aujourd’hui comme une véritable porte de sortie, face aux désastres de l’antibiorésistance.
Un bel avenir devant eux !
À tel point que même les hautes autorités de santé ont décidé de leur faire confiance, malgré une véritable impasse réglementaire.
En effet, à l’heure actuelle, le monde ne saurait se passer de protocoles contraignants pour satisfaire à l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché (AMM).
Une condition indispensable à la commercialisation et à l’usage de toute substance médicamenteuse en Europe et aux États-Unis.
Or, il apparaît difficile à bien des égards de standardiser l’usage des bactériophages chez les patients atteints d’infections à bactéries résistantes…
Pour la simple et bonne raison qu’il s’agit d’organismes vivants ! Il existe donc toujours une part d’imprévisibilité dans la pratique, ce qui ne colle pas avec les normes en vigueur.
Ainsi, à ce jour, il n’existe dans le monde aucune AMM pour les traitements utilisant des bactériophages.
Malgré tout, en France, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a accordé l’été dernier un accès compassionnel aux bactériophages pour des patients atteints d’infections ostéo-articulaires7.
Entre-temps, les hôpitaux publics de Lyon ont obtenu un financement de 2,85 millions d’euros de la part de l’Agence Nationale de Recherche (ANR) pour le projet PHAG-ONE, qui vise à améliorer la recherche dans le domaine de la phagothérapie.
De nombreux programmes de recherche financés émergent ainsi de par le monde.
Aux États-Unis, le National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID) a accordé 2,5 millions de dollars à 12 instituts pour soutenir la recherche sur les bactériophages en 2021.
Plus récemment, c’est l’état de Nouvelle-Galles du Sud, en Australie8, qui a emboîté le pas.
La phagothérapie semble enfin promise à un bel avenir et j’espère que nous aurons l’occasion d’en reparler prochainement.
En attendant, vous noterez que c’est bien la première fois dans l’histoire de l’humanité que nous essayons de faire prospérer des virus ! Amusant, non ?
Laurent
[1] Global burden of bacterial antimicrobial resistance in 2019 : a systematic analysis, The Lancet, VOLUME 399, ISSUE 10325, P629-655, FEBRUARY 12, 2022 [2] European Centre for Disease Prevention and Control. Antimicrobial consumption in the EU/EEA (ESAC-Net) – Annual Epidemiological Report 2021. Stockholm: ECDC; 2022. [3] La phagothérapie : une solution alternative à l’antibiorésistance et un nouvel enjeu en officine, thèse de Gautier Gabriel Paul Deveseleer, août 2023 [4] Debarbieux L, Leduc D, Maura D, et al. Bacteriophages can treat and prevent Pseudomonas aeruginosa lung infections. J Infect Dis 2010 ; 201 : 1096–1104. [5] Ferry T, Kolenda C, Batailler C, Gustave CA, Lustig S, Malatray M, et al. Phage Therapy as Adjuvant to Conservative Surgery and Antibiotics to Salvage Patients With Relapsing S. aureus Prosthetic Knee Infection. Front Med (Lausanne). 16 nov 2020;7:570572. [6] Abedon ST. Phage therapy of pulmonary infections. Bacteriophage 2015 ; 5 : e1020260 [7] https://ansm.sante.fr/actualites/phagotherapie-lansm-autorise-un-acces-compassionnel-pour-des-bacteriophages-dans-les-infections-osteo-articulaires [8] Major funding boost for phage therapy manufacturing in NSW, NWS health, governement, 05 july 2023