Faites-vous confiance au Nutri-Score ?

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L’autre jour, je me suis rendu au supermarché avec mes enfants.

Comme vous le savez peut-être, je suis un adepte du régime méditerranéen, connu pour ses vertus santé. Je me dirige donc vers le rayon huile d’olive.

Au même moment, mes enfants me demandent avec insistance « est-ce qu’on peut manger une pizza ce soir ? ».

Je leur réponds : « Hors de question ! Pas de cochonnerie transformée dans nos assiettes ».

Je voulais leur préparer une bonne salade avec de l’huile d’olive et des bruschettas.

Je prends donc mon huile extra-vierge préférée, convaincu que je tenais là le Graal pour la santé de mes enfants. Mais je me rends compte avec horreur que son Nutri-Score indique un médiocre « C ».

Pire encore, mes enfants le remarquent, rigolent et vont chercher une pizza surgelée « végétarienne et au levain » d’une marque bien connue. Et vous ne devinerez jamais : son Nutri-Score était « A » !

Comment convaincre mes enfants que tout cela ne faisait aucun sens ? Ce soir-là, je leur ai donc concédé une pizza…

Mais, ce même soir, j’ai fait mes recherches sur ce Nutri-Score car je n’étais pas du tout convaincu. Et j’ai découvert que ce système était de la poudre aux yeux.

Un objectif noble rapidement dénaturé par les intérêts économiques

Déjà, commençons par le début. D’où vient ce Nutri-Score ?

Le Nutri-Score a été développé en France en 2017, sous l’égide du chercheur Serge Hercberg de l’Université Sorbonne Paris Nord.

Il s’inspire largement du système de couleurs vert-jaune-rouge de la FSA (Food Standard Agency) du Royaume-Uni, développé presque 10 ans plus tôt1.

Son objectif initial était noble : informer les consommateurs sur la qualité nutritionnelle des produits alimentaires pour les aider à faire des choix plus sains2.

Cependant, dès le départ, des questions ont émergé sur l’influence des lobbys de l’industrie alimentaire.

En effet, ces lobbys ont réussi à faire pression pour que le Nutri-Score soit volontaire, ce qui signifie qu’il n’est pas obligatoire pour les fabricants d’apposer cette étiquette sur leurs produits3.

Cette concession aux intérêts économiques a déjà mis en péril la crédibilité du système.

Mais ce n’est pas tout.

Car, même quand les fabricants l’utilisent, le Nutri-Score est loin de refléter ce qu’il y a de bon ou de mauvais dans un produit.

Comment voir la nourriture en noir et blanc

Le Nutri-Score attribue une lettre et une couleur à un produit alimentaire en fonction de sa composition nutritionnelle.

Les produits les plus sains sont notés en vert avec la lettre « A », tandis que les moins sains sont notés en rouge avec la lettre « E ».

Pour calculer le Nutri-Score, plusieurs éléments sont pris en compte :

  • Les nutriments à favoriser (fibres, protéines, fruits, légumes, fruits à coque) sont pris en compte positivement.
  • Les nutriments à limiter (calories, acides gras saturés, sucres ajoutés, sel) sont pris en compte négativement.
  • Des points sont attribués en fonction de la quantité de ces nutriments dans 100 grammes de produit, et le score final est obtenu en soustrayant les points négatifs des points positifs.

Autrement dit, le Nutri-Score décompose un produit alimentaire en petits blocs, auquel il attribue des + et des –. Une vision binaire de l’alimentation.

Mais il ne prend pas en compte l’origine du produit : naturel ou agro-alimentaire ? Biologique ou transformé ?

En outre, il ne prend pas en compte non plus les possibles traces de pesticides, ni les additifs comme les édulcorants, les conservateurs, les colorants

Bref, le Nutri-Score ne juge pas un produit alimentaire dans sa totalité.

Et c’est pour cela qu’une pizza surgelée végétarienne peut avoir un meilleur score que de l’huile d’olive.

Parce que, si vous faites la liste (abstraite) des ingrédients, la pizza végétarienne au levain a plus de “bonnes choses” que l’huile d’olive : légumes, peu de gras, etc.

Mais vous vous rendez bien compte qu’une pizza industrielle sera toujours moins saine que de l’huile d’olive, ne serait-ce que parce qu’elle contient de nombreux conservateurs.

En 2022 et en 2023, le Comité Scientifique International a voulu réformer le Nutri-Score pour équilibrer ces incohérences. Mais ont-ils changé pour le mieux ?

Les révisions du Nutri-Score : un pas timide dans la bonne direction

L’algorithme Nutri-Score a été proposé pour ajustement par le comité scientifique dans un rapport de 135 pages4.

Les révisions proposées comprennent :

  • Mettre en œuvre une évaluation rigoureuse des aliments riches en sucre et en sel.
  • Améliorer la classification des poissons gras qui ne contiennent pas de nutriments ajoutés tels que l’huile ou le sel.
  • Valoriser les huiles végétales d’une classe sur l’échelle Nutri-Score. Les huiles végétales à faible teneur en acides gras saturés, comme l’huile de colza, de noix, de tournesol oléique et l’huile d’olive, peuvent désormais atteindre une classification B. L’huile de tournesol est reclassée en catégorie C.
  • Instaurer une distinction plus claire pour les fruits à coque et les graines sans sel ni sucres ajoutés, majoritairement classés en A ou B. Les versions salées et/ou sucrées sont généralement classées en catégorie C voire D.
  • Améliorer la différenciation entre les produits à grains entiers naturellement riches en fibres et les aliments transformés/raffinés à teneur relativement faible en fibres (pain complet vs pain blanc).

A priori, plutôt rassurant, non ?

J’aurais envie de dire oui mais, dans les faits, ces révisions ne sont pas si efficaces. Et voici pourquoi.

Un système beaucoup trop laxiste sur le sucre

Le nouvel algorithme d’évaluation du sucre est devenu plus strict, ce qui est une étape positive.

Toutefois, 2 problèmes majeurs subsistent : une question de quantité et de qualité.

L’OMS conseille de limiter l’apport en sucres raffinés (les sucres qui ne sont pas présents naturellement dans les aliments) à un maximum de 10 % des apports quotidiens.

Cela correspond à une moyenne de 50 grammes de sucre par jour.

Or, la valeur de référence du Nutri-Score est de 90 grammes, soit clairement excessive !5

De plus, le Nutri-Score est basé sur les informations nutritionnelles obligatoires figurant au dos de l’emballage.

Et les emballages n’indiquent que la teneur totale en sucres, tout type confondu.

Dans sa version actuelle, le Nutri-Score n’est donc pas en mesure de différencier dans son algorithme les sucres raffinés, les sucres ajoutés et les sucres d’origine naturelle.

Il met donc à pied d’égalité le fructose qui est pro-inflammatoire, cancérigène et oxydatif, avec les glucides non-raffinés des céréales complètes ou des fruits.

Pas de consensus européen = Nutri-Score incohérent

Enfin, même si des révisions sont faites et risquent d’être faites encore, elles ne sont pas implantées de manière uniforme.

Rien n’oblige les fabricants à mettre le Nutri-Score sur les emballages.

Rien n’oblige les commerces à adopter les nouvelles révisions.

De plus, l’OMS n’a pas l’autorité nécessaire pour approuver un système d’étiquetage particulier.

Je pense donc que le Nutri-Score n’est pas suffisant pour éduquer la population car il n’est pas utilisé de manière cohérente et uniforme.

Quelles alternatives au Nutri-Score ?

Je suis convaincu qu’il existe de meilleures alternatives pour guider les consommateurs vers des choix alimentaires plus sains.

L’éducation nutritionnelle, par exemple, permettrait aux individus de comprendre les bienfaits des aliments frais et non transformés par rapport aux produits transformés.

Les applications de suivi de la nutrition qui permettent aux consommateurs de scanner les codes-barres et d’obtenir des informations détaillées sur les produits, sont également une option.

De plus, encourager la consommation de produits locaux et biologiques pourrait être une approche plus holistique pour améliorer la santé publique.

En fin de compte, le Nutri-Score, malgré ses bonnes intentions, ne résout pas les problèmes fondamentaux liés à notre système alimentaire, comme l’accès inégal aux aliments sains et la dépendance à l’industrie agro-alimentaire.

Et vous, que pensez-vous du Nutri-Score ?

Laurent,

Sources :

[1] Sacks, G., Rayner, M., & Swinburn, B. (2009). Impact of front-of-pack ‘traffic-light’ nutrition labelling on consumer food purchases in the UK. Health Promotion International, 24(4), 344-352

[2] https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/02/20/le-logo-nutritionnel-arrive-dans-les-rayons_5259488_1650684.html

[3] Gamberini, Angelo (4 June 2020). « Nutri-Score: how to ruin the Farm To Fork concept – Carni Sostenibili ».

[4] https://www.bmel.de/SharedDocs/Downloads/EN/_Food-and-Nutrition/nutri-score-update-algorithm.pdf?__blob=publicationFile&v=2

[5] https://www.efsa.europa.eu/en/news/added-and-free-sugars-should-be-low-possible

[6] https://www.who.int/news/item/27-09-2021-state-of-play-of-who-guidance-on-front-of-the-pack-labelling